photo bandeau: Olivier Zwilling « Le stade vide »
Ce jeudi, nous avons atteint un cap, que dis-je …! Un pic avec 24 AFistes venus délibérer sur le challenge mensuel portant sur l’Absence tout en générant autant de présence. Notre club n’est que paradoxe et moi, j’adore les paradoxes.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, Marc nous a distillé quelques informations générales, suivi par Françoise qui nous a expliqué qu’en Mai, les jeudis seraient le mercredi et que ceux qui ne le souhaitent pas, les mercredis resteraient le jeudi. Je crois qu’il est temps que notre sympathique secrétaire aille se reposer sur les vertes collines auvergnates. Pour résumer, comme 3 jeudis du mois de Mai sont fériés, il a été proposé que les réunions sacrées soient maintenues le mercredi soir. Pour celles et ceux qui ne sauraient meubler la vacance de ces jeudis, des sorties de groupes pourraient être initiées. Nous en reparlerons lors de nos prochaines rencontres.
Cette mise au point étant faite, nous sommes passés au plat du jour, à savoir, porter un regard critique sur le thème du mois « Absence« . Trois juges ont été désignés d’office, Arnaud, Alain et Hubert. Point de regard féminin puisque toutes la gente féminine présente avait déjà officié sur les thèmes passés.
On peut dire que les échanges ont été animés, enrichissants sur les diverses façons de mettre en exergue l’absence. Suggestives ou directes les 23 photos présentées ont à leur manière mis en évidence ce sentiment latent qui hante l’esprit jusqu’à la souffrance ou tout simplement suggéré l’abandon, l’oubli ou le manque. Il est à noter qu’à travers ce type de thème, les auteur.e.s se sont projeté.e.s dans leurs photographies pour illustrer ce sentiment. Il faut continuer en ce sens, mettre de soi, consciemment, dans l’acte photographique. C’est ainsi que se développera la personnalité de chacun.e pour porter un regard sur le monde qui nous entoure. Ces partages d’un soir contribuent à cette construction.
N’est-ce pas la finalité de se retrouver au sein d’un club ?
Pour me faire pardonner par Florence, je vous propose de regarder sa photo que j’avais oubliée dans le fond de mon disque dur. Désolé Flo. La voici, attendant que vous poussiez la grille pour échanger quelques commentaires sur sa décrépitude avancée. On entend déjà la souffrance aigue des gonds quand une force assassine a tenté d’écarter les battants solidement arrimés l’un à l’autre comme des frères siamois. Ils ont pourtant résistés, préservant les secrets d’une vie passée derrière les volets désormais clos.

Ce thème nous a offert quelques pépites lumineuses pour justifier l’Absence. Toutes nous ont plongés dans une narration subtile, nous emportant sur les fondements personnels des auteur.e.s. Les voies étaient sans doute divergentes pour les regardeurs que nous étions mais toutes nous conduisaient vers la même issue l’Absence qui éclatait avec un grand « A » jusqu’à nous envahir car chacun d’entre nous est confronté à ce sentiment à un moment de sa vie.
Pour moi, cette absence a éclaté au premier regard dans la photo de Sandrine Bonneteau. L’attitude de la jeune fille à la chevelure flamboyante, penchée affectueusement sur la chaise vide qu’elle doit encore agripper avec douceur comme elle le faisait sans doute, à la jupe ou à la main de sa Grand-Mère assise au côté du Grand-Père encore chaussé de ses bottes, venant de parcourir les rangs de vigne pour y déceler quelque maladie fatale. Cette vigne qu’il a plantée et soignée amoureusement depuis des années. Ils sont là, tous les trois, à la couver des yeux.
« Dis Mamie, pourquoi ils sont noirs et tordus les petits arbres? » demande la petite fille.
« Ces petits arbres, ce sont des ceps subissant la torture du soleil, du froid, de la pluie et du vent. Ils souffrent pour gaver de sucre et de jus, ces belles grappes rouges que tu vois, nichées sous les feuilles protectrices de la vigne «
« Dis Mamie, pourquoi … ? » » Tais-toi Ma Douce, écoute la vigne chantée son bonheur de vivre »
Tous les trois, ils se sont tus, tendant l’oreille dans le silence, pour écouter la vigne fredonner sous les derniers rayons de soleil se retirant lentement pour laisser place aux premières fraîcheurs crépusculaires.

Absence encore avec la photo de Françoise qui nous montre son Père, le regard fixé sur le siège vide qui se tient près de lui. Malgré cette photo posée à sa demande, Françoise a su capté l’instant où l’esprit de son Père s’est envolé vers quelques souvenirs où il a perçu la présence de son épouse, compagne et complice d’une vie commune. Il s’est peut-être revu, le moment où ils s’asseyaient lourdement sur leur fauteuil respectif, toujours le même, sitôt le repas du soir terminé, devant la petite télévision illuminant leurs visages de sa lueur violacée. Leur attention était captée par les images de leur feuilleton préféré devant lequel ils s’endormaient systématiquement. La tête renversée, la bouche ouverte, ils se laissaient envahir par un sommeil réparateur jusqu’à ce que le cri aigu et éraillé de la Mère Denis « ça c’est vrai ça » les réveille en sursaut, la télé dégueulant sa pub vedette à chaque fin d’émission. Il était temps d’aller se coucher, alors ils s’extirpaient d’un même effort des fauteuils, exprimant leur soulagement par le chuintement du cuir froissé. Demain, une nouvelle journée de labeur les attendrait.

Je continue cette rétrospective avec la photo de Tsiry qui m’a tout de suite interpellé par la présence des deux enfants plantés devant l’immensité de l’océan. Ils regardent ensemble l’horizon lointain où ils semblent s’accrocher avec insistance. La forte stature du plus grand impose sa protection au plus petit dont il tient la main pour lui donner l’assurance d’un avenir meilleur. Placé plein centre de la photo, le couple d’enfants éclate avec force, baigné par la lumière magnétique de l’océan. Nul ne sait pourquoi, ils restent plantés dans le sable humide se dérobant sous leurs pieds, en conversation silencieuse avec les vagues océanes. Leurs parents sont peut-être disparus dans les profondeurs abyssales, c’est en tout cas ce qu’elle me raconte cette photographie. Par Tsiry, nous savons maintenant que les cendres des disparus malgaches sont dispersées dans les eaux océanes. Ceci explique cela.

Une autre façon d’illustrer l’absence proposée par Isabelle, la transparence de l’Être cher disparu. Il est là sans être là. Je sais qu’Isabelle versera une larme en regardant cette photo, sa photo, sa blessure toujours à vif dans son cœur. La photo n’illustre pas encore l’absence, on est dans un entre-deux où la présence livre toujours son combat contre ce qui deviendra inéluctablement une absence puis un souvenir au fil du temps qui continue son chemin vers un infini impalpable. C’est le propre de l’Être humain d’enfouir des blessures au plus profond de soi sans quoi la vie serait un enfer permanent. Elle reste immobile au fond de l’âme, rappelant son existence au détour d’un chemin, d’une rencontre, d’un vécu. L’oubli n’est jamais total mais ce besoin de Vivre est plus fort que tout malgré le chaos qui, un jour, a bouleversé une rectitude que l’on pensait immuable. Pour Isabelle, cette photo est un exutoire à sa peine récente, à cette absence brutale. La partager permet de s’alléger de son poids qui étreint le souffle, empêche de se libérer de son agression. Demain sera un autre jour. Le soleil brillera de mille feux, dehors comme dedans, parce que le temps fera que, seuls, les bons moments vécus reviendront à la surface des flots charriés par les battements du cœur.

Une autre forme d’Absence soumise par Mickaël nous fait palper cet instant où toute forme de vie s’est diluée dans le temps. Derrière, bien sûr, nous devinons la présence humaine. Celle ci est anonyme, donc moins prégnante. On devine simplement que des mains invisibles ont touché ces objets, les ont placé là sans savoir qu’ils y resteraient. Plus personne n’est venu les déranger parce qu’il n’intéressent plus. La bouilloire ne chantera plus, la chaise bancale le restera. Son siège à trous n’accueillera plus le postérieur de velours du paysan venu se reposer un instant des labeurs des champs. La serviette, encore accrochée à son clou rouillé, n’épongera plus les gouttes de sueur dont il vient de se débarrasser comme pour chasser la fatigue, d’un geste lent pour ne pas en oublier une. Ses gros sabots de bois ne graviront plus les rolons de l’échelle qui se dresse encore fièrement sur le mur noirci par la moisissure du temps. L’absence transpire sur ces objets qui ne demandent pourtant qu’à continuer de vivre.
Il suffirait d’une main compatissante pour qu’ils reprennent goût à cette vie d’antan.

Pour conclure cette revue, je citerai encore la photo de Serge Blanc où l’on voit une femme allongée sur un muret, s’abandonnant aux rayons de soleil bienfaiteurs. Un abandon sous forme de lâcher-prise. Un instant où l’on se retire du monde immédiat quand la somnolence fait perdre conscience. C’est une forme d’absence du vivant. Le cœur continue à battre, les sens sont toujours en éveil malgré tout mais le conscient fait une pause pour s’extirper des obligations de l’existence. Un laisser-aller momentanée pour mieux repartir vers le destin qui nous est réservé et dont nous restons dans l’ignorance la plus totale.
Seule la fin nous est connue.

Vous pouvez retrouver toutes ces photos et le diaporama ici: CR jeudi 3 Avril
Je vous invite à ne pas trop vous attarder sur la photo n°11 car je ne tiens pas à ternir mon image plus qu’il ne faudrait. MERCI et bonne lecture.
Je vous dis à jeudi prochain . ChB